Source: http://www.lemonde.fr/police-justice/ar ... 53578.html
LE MONDE | 08.09.2017 à 11h08 |
Par Julia Pascual
Cannabis : les forces de l'ordre plébiscitent les amendes forfaitaires
Policiers, gendarmes et magistrats ont été auditionnés par une mission d'information parlementaire.
Le cannabis s'est invité à l'Assemblée nationale.
Une série d'auditions a débuté cette semaine dans
le cadre d'une mission d'information
parlementaire dont le but est d'anticiper les
conséquences de la promesse électorale d'Emmanuel
Macron de mettre en place une amende forfaitaire
en cas de consommation de stupéfiants, et en
particulier de cannabis. « Nous devrions rendre
notre rapport d'ici à fin octobre, début
novembre », explique Eric Poulliat, député LRM,
corapporteur de la mission avec le député LR
Robin Reda.
Des responsables et représentants des forces de
l'ordre et du monde judiciaire ont été entendus,
mercredi 6 et jeudi 7 septembre, qui partagent le
constat d'une forme d'impuissance face à un
contentieux de masse. Le nombre de personnes
interpellées pour infraction à la législation sur
les stupéfiants a explosé depuis quarante ans.
Mais la France affiche des niveaux de
consommation élevés. Il y aurait ainsi
1,4 million d'usagers réguliers de cannabis, et
700 000 consommateurs quotidiens, d'après
l'Observatoire français des drogues et des
toxicomanies.
« Instruction permanente »
La réponse pénale apportée aux contrevenants
interpellés par des policiers ou des gendarmes
est diverse. Si le code de la santé publique
prévoit, depuis 1970, une peine allant jusqu'à un
an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende, des
mesures alternatives aux poursuites sont le plus
souvent décidées. D'après les chiffres du
ministère de la justice, en 2016, sur plus de
115 000 réponses pénales pour usage de
stupéfiants, les deux tiers étaient des mesures
alternatives aux poursuites dont plus de 44 000
consistaient en des rappels à la loi.
Une situation qui s'explique notamment par le
besoin de désengorger la justice. Dans les
grandes agglomérations, selon un système
d'« instruction permanente » des parquets, les
officiers de police judiciaire peuvent procéder
directement à ces rappels, sans passage devant un
magistrat. De quoi alimenter la frustration des
forces de l'ordre qui considèrent y consacrer
beaucoup de temps, pour une sanction trop faible
à leurs yeux.
« Il n'y a pas de réponse pénale suffisamment
dissuasive pour limiter la consommation. En
revanche, la procédure pénale est de plus en plus
lourde », observait lors de son audition jeudi
7 septembre, Pascal Lalle, patron de la sécurité
publique, une des grandes directions centrales de
la police nationale. Il estime à cinq heures en
moyenne le temps consacré par un policier à une
procédure pour usage de stupéfiants. A dix heures
lorsque, plus rarement, une garde à vue est mise
en ¦uvre.
Partant de là, policiers et gendarmes
plébiscitent l'idée d'une amende forfaitaire
qu'ils pourraient directement infliger au
contrevenant, sans avoir à solliciter le parquet
ni nécessairement à repasser par le commissariat
ou la brigade. Les mineurs, qui représentent 50 %
des interpellés pour usage de stupéfiants d'après
les chiffres communiqués par le ministère de la
justice, seraient toutefois exclus d'un tel
dispositif, et resteraient soumis à une justice
spécifique qui consacre la primauté des mesures
éducatives. De même, dans l'esprit du
gouvernement, les personnes interpellées en
situation de récidive seraient traitées selon la
procédure traditionnelle, l'usage de stupéfiants
restant un délit.
« Orientation bienvenue »
L'amende forfaitaire est une « orientation
extrêmement bienvenue et positive », a jugé le
préfet de police de Paris, Michel Delpuech, lors
de son audition jeudi. La veille, le général
Pierre Sauvegrain, de la direction générale de la
gendarmerie nationale, avait souligné l'intérêt
de l'« immédiateté de la sanction » tout en
faisant valoir que « la principale vertu du
recours à l'amende est de réduire l'aspect
chronophage » de la procédure. « C'est une
formule intéressante, a appuyé le directeur des
affaires criminelles et des grâces du ministère
de la justice, Rémy Heitz. Cela permettrait de
réaffirmer l'interdit et de porter un coup
d'arrêt à la consommation de rue ».
L'enthousiasme était moins entier du côté des
magistrats auditionnés, qui voient une procédure
échapper à leur contrôle. « Le ministère public
ne sait plus si on attend de lui un objectif de
répression systématique ou un objectif
sanitaire », a réagi Jean-Jacques Bosc,
vice-président de la conférence nationale des
procureurs généraux. « Priorité sera donnée à la
sanction pécuniaire au détriment des réponses
d'ordre plus sanitaire », a aussi regretté
Emmanuelle Bochenek, de la Conférence nationale
des procureurs de la République.
Aujourd'hui, les injonctions thérapeutiques sont
rarement décidées par la justice. « Elles sont en
diminution assez nette », a observé M. Heitz.
Principalement destinées aux consommateurs de
drogues dites dures (cocaïne, héroïne�), elles se
heurtent à l'absence de structures sanitaires
adaptées et de médecins relais (interface entre
secteurs judiciaire et sanitaire). Les stages de
sensibilisation, créés en 2007, sont aussi au
nombre de quelques milliers à peine chaque année.
La mise en ¦uvre de l'amende forfaitaire risque
par ailleurs d'être confrontée à plusieurs
difficultés pratiques. Quel sera son montant ?
200, 300 ou 600 euros, comme proposé par les
policiers et gendarmes auditionnés ? « Si on veut
un dispositif acceptable, pérenne, il faut un
montant raisonnable », a plaidé M. Heitz, qui a
rappelé que le consommateur est souvent « peu
autonome financièrement » et qu'actuellement, le
montant moyen des amendes infligées par la
justice pour usage de stupéfiants tourne autour
de 300 euros pour un taux de recouvrement d'à
peine 41,7 %.
Quid, en outre, du paiement ? Sera-t-il immédiat
ou différé ? Enfin, faut-il fournir tous les
équipages de kit de détection des stupéfiants
pour faire face au risque de contestation de
l'amende ? Autre défi : comment les forces de
l'ordre pourront-elles constater la récidive
alors qu'elles n'ont pas accès au casier
judiciaire ? « Nous risquons des recours et des
difficultés », concède M. Heitz, qui anticipe
également une hausse mécanique des
constatations : « Quand on automatise un
contrôle, on facilite la constatation et on
augmente les infractions. »