article La Recherche: La fosse aux lions

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article La Recherche: La fosse aux lions

Messagepar S0r0N » 03 Avr 2003, 09:21

une lecture très vivement conseillée
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Re: article La Recherche: La fosse aux lions

Messagepar S0r0N » 03 Avr 2003, 09:22

suite
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Re: article La Recherche: La fosse aux lions

Messagepar S0r0N » 03 Avr 2003, 09:22

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Re: article La Recherche: La fosse aux lions

Messagepar S0r0N » 03 Avr 2003, 09:23

et fin.
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Re: article La Recherche: La fosse aux lions

Messagepar S0r0N » 21 Jan 2013, 03:51

En version texte (merci à Sebastien).

La Recherche, mars 2003 (numéro 362)


La vérité sur le cannabis

Tumulte et fureur autour des volutes d’une petite fumée : le débat sur le cannabis, ses dangers supposés et ses bénéfices accessoires, est passionné, violent, parfois confus. En France, il a pris l’allure d’une véritable guerre idéologique qui divise la communauté des chercheurs. Et pourtant, à y regarder de près, il existe un consensus scientifique qui répond à quelques questions essentielles. La Recherche a ouvert le dossier.

2. France: la fosse aux lions

Partout passionnel le débat sur le cannabis l’est peut-être spécialement en France. À l'affrontement droite-gauche se superpose en effet une véritable guerre entre une partie de l’establishment hospitalo-universitaire liée aux partis de droite, et l’élite de la communauté scientifique, rompue au démasquage des conclusions hâtives.


Prenez un animal de laboratoire, injectez-lui régulièrement du THC, le composant actif du cannabis. Puis sevrez-le brutalement, que se passe-t-il? Tout et rien: vous n'en êtes qu'au début d'une expérience qui cristallise les rapports entre sciences et pouvoirs. Examinons souris et rats du professeur Jean Costentin, directeur de l'unité CNRS de neuropsychopharmacologie de la faculté de médecine de Rouen: chez eux, l'arrêt brusque du THC induit un syndrome de sevrage. Arrêt brusque? Stocké dans les graisses de l'organisme, le THC connaît une longue rémanence: pour être brutal, le sevrage devra alors s'effectuer en administrant aux rongeurs un antagoniste aux récepteurs du cannabis . Mouvements d'ébrouement, frottements de la face, « le cannabis suscite une dépendance physique, qui a été jusqu'alors le critère servant à caractériser les "drogues dures" », indique le professeur Costentin, dans un numéro spécial du Bulletin de l'Académie nationale de médecine, en février 2002 [1]. Ses travaux vont également influencer un rapport alarmiste de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), paru le même mois et commandité par Jean-Louis Debré, alors président du groupe RPR à l'Assemblée nationale. « Des travaux scientifiques récents semblent établir l'existence d'une dépendance physique au cannabis », soutient le député RPR Christian Cabal, auteur du rapport et professeur à la faculté de médecine de Saint- Étienne [2]. Pour lui, le cannabis est un « sas d'entrée vers l'héroïne ».
Restons chez les souris, mais changeons de laboratoire. On accède à celui du professeur Bernard Roques (ex-directeur d'une unité Inserm-CNRS, grand prix de la Fondation pour la recherche médicale en 2001), après avoir longé un carré de jardin de la faculté de pharmacie Paris V, où il enseigne les sciences pharmaceutiques et biologiques: « Si vous sevrez un animal du cannabis, je peux vous affirmer qu'il ne se passe rien, sauf à lui administrer un antagoniste: là vous aurez de petits symptômes, mais qui n'ont rien à voir avec le manque d'héroïne ou d'alcool, par exemple », affirme Bernard Roques. Il n'existe pas de vraie dépendance physique au cannabis. Bien sûr, si vous voulez absolument prouver quelque chose, vous finirez par trouver un petit truc à force de vous acharner à faire des manips sur les animaux. Mais, déjà, on ne trouve pas les mêmes résultats avec des souris transgéniques et des souris normales. Il faut rester serein et y aller doucement... »
Un discours qu'appuie Jean-Pol Tassin, directeur de recherche à l'Inserm: le cannabis n'induit selon lui aucune dépendance physique [3].Il conteste qu'on puisse soutenir le contraire en s'appuyant sur une démonstration obtenue avec des antagonistes. Invité par l'AFP, en février 2002, à commenter les écrits du professeur Costentin, pour qui « le cannabis constitue une voie privilégiée vers l'héroïne », Jean-Pol Tassin déplore que « la parole d'un chercheur isolé prenne le pas sur le travail mené par 25 scientifiques pendant six mois, et nous fasse retomber dans les débats idéologiques et la « diabolisation », et qualifie au passage de « caricature » le rapport de l'OPECST [4]. De fait, ce rapport et le Bulletin de l'Académie nationale de médecine paraissent
six mois après une expertise collective du principal institut de recherche publique sur la santé, l'Inserm, dont les conclusions sont autrement prudentes [5].
« Et surtout, c'était trois mois avant l'élection présidentielle », glisse, furieux, Bernard Roques, qui suggère que la « diabolisation » du cannabis aurait été télécommandée par des parlementaires de l'ancienne opposition, ravis d'embarrasser un Parti socialiste tiraillé sur le sujet entre une prudence attentiste et les vociférations des Verts, parti- sans de la légalisation. « Pourquoi commanditer un nouveau rapport alors que l'on dispose de celui de l'Inserm? », insiste Bernard Roques, évoquant la somme de 420 pages qui analyse les données scientifiques disponibles sur une base documentaire grosse de 1 200 articles.
Bernard Roques est lui-même auteur d'un rapport réalisé en 1998 à la demande du secrétaire d'État à la Santé, Bernard Kouchner. Soutenant que le cannabis possède une toxicité inférieure à celle de l'alcool ou du tabac, il déchaîna de violentes polémiques. Alors, 10 toxicologues avaient rendu publiques leurs interrogations dans Le Figaro: «Comment les experts du rapport Roques ont-ils pu conclure que le cannabis est moins dangereux que le tabac et qu'il possède une toxicité générale faible?» Ces toxico- logues en colère arguent, entre autres, de troubles de la reproduction chez des fumeurs de cannabis, du reste signa- lés dans le rapport: « Ces troubles de la reproduction ont été prouvés chez un groupe de 16 consommateurs de cann bis en 1990, même si cela n'a pas encore fait l'objet d'une étude épidémiologique [6]. » Parmi les signataires, plusieurs professeurs des universités et directeurs de laboratoire en milieu hospitalier, dont un rattaché à l'Inserm. Aucun d'entre eux ne faisait cependant partie, par exemple, des scientifiques choisis par l'Académie des sciences pour établir son rapport « État de la recherche toxicologique en Franœ », publié en 1998.
Plongés dans les jeux politiques des hommes, nous voilà bien loin des souris, et déboutés du rêve naïf d'une vérité scientifique... « Quand on dit: "telle science montre que… »; la question est et doit être: « à quelle question répond cette démonstration ? » », sourit Isabelle Stengers, philosophe des sciences à l'université de Bruxelles et grand prix de philosophie de l'Académie française en 1993 [7). Pourquoi injecter à des souris des doses de THC (aberrantes si on les rapporte à un modèle humain) et les sevrer en leur administrant un antagoniste, sinon parce que l'on a en tête de vouloir constater, coûte que coûte, un syndrome de sevrage? Alors que, selon le rapport de l'Inserm, « aucun signe de syndrome de sevrage spontané au THC n'a pu être expérimentalement
observé » chez l'animal, tandis que, chez l'homme, la dépendance « apparaît d'abord et avant tout comme d'ordre comportemental », puis « est généralement considérée comme ne s'accompagnant pas de dépendance physiologique ».
«Les scientifiques ne devraient pas avoir grand-chose à dire sur le cannabis s'ils étaient honnêtes », lance Jean-Pol Tassin. : Mais plein d'autres éléments interviennent: le camp politique, l'expérience personnelle - ou non - du produit, l'angoisse que l'on éprouve - ou non - pour ses enfants, etc. Dès lors, le cannabis est merveilleux: c'est un produit suffisamment mixte pour dire ce que l'on veut. »D'autant que sa prohibition est investie d'une grande charge symbolique. «C'est la défense des valeurs de notre civilisation qui est en jeu. Après la libération sexuelle, la génération qui a vécu 68, et qui reste très attachée à son passé révolutionnaire, veut faire sauter ce dernier verrou de la société estime Damien Meennan, professeur de philosophie qui, sous ce pseudonyme, anime Drogue-danger-débat, un site lnternet affichant plus de 250 000 connexions depuis près de trois ans [8]. Cet outil est financé par la Fondation de service politique, qui entend « éclairer la société par l'esprit chrétien » et fournir, sous l'impulsion de Vatican 2, des idées aux responsables politiques. On y retrouve des hommes de la droite extrême, tel François-Xavier de Guibert, éditeur de Maurice Papon. Symboliquement, la lutte contre le cannabis serait ainsi le dernier rempart contre la permissivité tous azimuts qui gagnerait notre société.
DANS UNE TRANQUILLE INDIFFERENCE AUX FAITS ET AUX TRAVAUX SCIENTIFIQUES
« Les débats que suscite la drogue en France restent le plus souvent idéologiques, chacun défendant des positions fort accusées, dans une tranquille indifférence aux faits et aux travaux scientifiques », notait déjà le professeur Roger Henrion, en introduction à son rapport sur la drogue en France, remis en 1995 à Simone Veil, ministre de la Santé. Sept ans après son rapport, et après avoir présidé l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies de septembre 1996 à avril 1999, Roger Henrion regrette « athèmes et déclarations ex abrupto » qui secouent la communauté scientifique. En s'employant à démontrer, avec une courtoisie affable, que tout n'est que question d'interprétation, ce membre de l'Académie de médecine déplore « la propension de certains scientifiques, dans leurs articles à propos du cannabis, à choisir les citations qui les arrangent, voire à les tronquer ». Il y a effectivement de quoi faire perdre son latin au citoyen soucieux de remonter aux sources de l'information.
Qui croire, où est l'arbitre? Pour la plupart des scientifiques interrogés - mais c'est bien sûr! - « la question ne se pose même pas », « écoutez ce que dit la communauté scientifique inter nationale et vous n'aurez plus d'hésitation », « mais enfin, tout le monde sait bien que... »Tout le monde? Est-ce si simple, pour le médecin, pour l'éducateur ou pour tout autre non-initié, de distinguer la part d'idéologie dans une position affirmée « scientifique », et de se repérer dans les querelles feutrées entre institutions savantes, a priori toutes aussi respectables les unes que les autres?
De plus, une partie de la communauté scientifique préfère visiblement laver les blouses blanches en famille. Ainsi, les yeux se lèvent au ciel lorsque l'on évoque le professeur Gabriel Nahas, croisé de la lutte contre le cannabis depuis les années soixante-dix: « On ne tire pas sur une ambulance...» Ce chercheur français, membre un peu excessif de la famille, a tout de même été professeur au Collège des médecins et chirurgiens de l'université de Columbia (États-Unis), et conseiller spécial auprès du commissaire des Nations unies pour les narcotiques. Il fut aussi le « monsieur drogue» d'hommes politiques tels que Jacques Chirac et Charles Pasqua. Égrenés pendant vingt ans, du Concours médical au Figaro, en passant par de nombreuses revues spécialisées, ses articles continuent à nourrir une bonne partie de l'opinion publique. Mais tous les scientifiques n'ont pas la pudeur de leurs collègues français : en 1994, deux pharmacologues australiens passent au crible un article de Nahas sur la toxicité de la marijuana paru deux ans auparavant dans le Medical Journal of Australia [9]. Ils comparent les résultats attribués par Nahas aux 35 études citées dans son article avec le contenu réel des études en question. Conclusion: les résultats de 28 de ces études sont résumés de manière inexacte, avec toujours le même biais, à savoir noircir les effets de la marijuana. Deux autres références sont trop obscures pour permettre d'identifier la source [10].
TOI QUI AS LE POUVOIR DE CONVOQUER LES EXPERTS ,MONTRE MOI QUELS EXPERTS TU REUNIS
« Au-delà des a priori idéologiques ou politiques très importants, les conclusions scientifiques d'une expertise peuvent être affectées par de gros intérêts professionnels. Quand vous êtes mandaté - avec à la clé un financement colossal- pour faire un rapport à un ministre dont les opinions sont clairement affichées, vous pouvez être tenté de rendre un travail, ne disons pas orienté, mais adouci. Ainsi, vous pouvez faire un rapport scientifiquement valable avec des conclusions fausses », affirme Patrick Mura, praticien hospitalier au laboratoire de biochimie et de toxicologie du CHU de Poitiers, tête de liste des signataires de la lettre ouverte contre les conclusions du rapport Roques. Aux côtés du professeur Costentin, il est longuement cité comme expert par le rapport de l'OPECST, et ses études sur la relation entre la consommation de cannabis et les accidents de la route ont influencé le texte de la proposition de loi réprimant la conduite sous l'emprise de stupéfiants, votée le 8 octobre 2002 par l'Assemblée nationale et amendée le 19 décembre dans un sens plus répressif par le Sénat. Mais que valent les études du docteur Mura? Dans le Bulletin de l'Académie de médecine de février 2002, il présente une étude portant sur l'analyse du sang de 900 conducteurs accidentés et de 900 sujets témoins. Résultat: « Chez les moins de 27 ans, la fréquence des accidents est multipliée par 2,5 avec le cannabis seul. » Pour comprendre la méthodologie permettant d'aboutir à cette estimation, il faut se reporter à l'article d'origine, dont la référence est indiquée en note 23: Annales de toxicologie analytique, n° 13, p. 306, 2001. Cette revue confidentielle est l'organe de la modeste Société française de toxicologie analytique, dont le siège social est justement le laboratoire de Patrick Mura, vice-président de la société. Et il ne nous a pas été possible d'avoir accès à l'article lui-même afin de pouvoir évaluer la méthodologie employée. Le crédit accordé à cette étude est d'autant plus surprenant qu'une grosse enquête épidémiologique, menée dans les règles de l'art, est en cours. Elle est pilotée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, dont le collège scientifique est présidé par le professeur Got. « La loi Gayssot a confié, avec des moyens colossaux, une enquête au professeur Got, portant sur 10 000 décès d'accidentés de la route, se défend le docteur Mura. Mais on ne va tout de même pas attendre 10 000 morts pour légiférer, même s'il déplaît au professeur Got que d'autres études lui coupent l'herbe sous le Pied.»!
« Toi qui as le pouvoir de convoquer des experts, montre-moi quels experts tu réunis, et je te dirai comment tu entends poser le problème, et quel type de réponse tu cherches, "en toute objectivité", à obtenir », apostrophe Isabelle Stengers [7]. « Il faudrait, en France, définir un véritable statut pour les activités d'expertise », plaide l'économiste et sociologue Olivier Godard, spécialiste du principe de précaution. « Le cadrage, la formulation des questions posées, le choix des différents intervenants, en cas d'expertise collective, tout cela devrait faire l'objet d'une concertation (éventuellement publique) entre les scientifiques et le commanditaire d'une expertise », ajoute ce directeur de recherche au CNRS. Si des instituts tels que l'Inserm ou l' Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) ont réussi à se doter de cadres rigoureux pour mener à bien leurs expertises, reste qu’une vérité scientifique n'est pas toujours politiquement juste. Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, le rappelait à propos du cannabis, en octobre 2002 sur France 2 : le rapport Roques « a démontré que l'on pouvait confondre l' alcool le tabac, le cannabis, les drogues dures (...) parce que le mécanisme était le même au niveau des neurones. Mais ce qui est valable d'un point de vue scientifique ne l'est pas du tout dans la pratique. » Tiens donc!
Thierry Kubler
Pour en savoir plus
http://www.larecherche.fr
Lire le tableau sur l'état de la législation sur le cannabis dans divers pays.
http://www.drogues.gouv.fr
Site de la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie.

[1] « Drogues illicites d’aujourd’hui et santé » Bulletin de l’académie nationale de médecine, numéro spécial, février 2002
[2] http://www.assembleenat.fr/legislatures ... /i3641.pdf
[3] « Cannabis :un stupéfiant à démystifier », La Recherche, numéro 287, mai 1996
[4] Libération, 25 février 2002
[5] Cannabis. Quels effets sur le comportement et la santé ?, Inserm 2001
[6] Le Figaro, 1er juillet 1998
[7] sciences et pouvoirs, La Découverte, 1997
[8]//www.drogue-danger-debat.org
[9] G. Nahas et C. Latour, Medical Journal of Australia 156, 495-7,1992
[10]. Christie Macdonald et Gregory B. Chesher, Drug&Alcohol Review, 13, 209-216,1994
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