Au mexique, cannabis et pavot remplacent le maïs: merci W

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Maïs amer entre mexique et etats-unis
Les paysans décimés par l'afflux de produits américains.

Par David BORNSTEIN

Dans le village d'Aranza, sur les hauteurs volcaniques de l'Etat de
Michoacan, les champs de maïs sont toujours là, mais seuls de rares hommes
âgés s'y affairent. Munis d'outils rudimentaires et de quelques tracteurs
qu'ils se partagent, ces paysans semblent des survivants d'une histoire
touchant à sa fin. Depuis le milieu des années 80, et plus encore avec la
participation du Mexique à l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena)
en 1994, l'entrée massive sur le marché mexicain de produits importés des
Etats-Unis a ravagé l'agriculture nationale. «Avant, tout le monde faisait
du maïs et de l'élevage, ici comme dans tout le Mexique. Aujourd'hui, nous
ne sommes plus qu'une centaine de vieux à continuer dans le village. Les
jeunes partent vivre aux Etats-Unis ou vont en ville. Nous n'arrivons plus
à vendre nos produits : personne ne les achète», explique Raoul Maceras, 64
ans, dont cinquante-deux de travail de la terre, sur sa petite parcelle de
deux hectares.

«Beaucoup de communautés de la région tiennent le coup grâce à l'argent que
les familles envoient des Etats-Unis ou aux cultures alternatives de
marijuana et d'opium, précise Juan Manuel Argote, de l'Association de
producteurs Juan Trejo. Désormais, 30 % de notre économie locale se fonde
sur la culture de drogues», alors que 3 milliards de dollars sont chaque
année envoyés dans le Michoacan par des Mexicains émigrés aux Etats-Unis.
Une somme qui représente trente fois l'ensemble des aides publiques du
ministère de l'Agriculture à la région, en constante baisse jusqu'à cette
année. Au Mexique, après quinze ans de politiques libérales pour ouvrir le
marché à la concurrence, on estime qu'un quart des emplois ruraux ont
disparu.

Subsistance. Dans la région d'Aranza comme dans celle d'Ario de Rosales, un
autre village du Michoacan, les grandes industries de farine mélangent
désormais le maïs américain et le grain de quelques grands producteurs
locaux encore compétitifs. La production de tortillas (galettes de maïs),
l'aliment de base de la cuisine mexicaine, est toujours d'actualité. Mais
elle n'implique quasiment plus les petits paysans (soit 90 % des
exploitants de la région), désormais réduits à une agriculture de
subsistance. «Les gringos envoient ici du maïs jaune de mauvaise qualité,
normalement destiné au bétail. Ça leur permet de casser les prix, avec
leurs produits par ailleurs subventionnés à coups de dizaines de milliards
de dollars annuels. Bilan : nous ne pouvons absolument pas tenir le choc»,
lâche Damian Oros, un producteur d'Ario de Rosales.

Viandes congelées. A Morelia, la capitale de l'Etat, «pas une chaîne de
supermarché ne distribue un seul kilo de viande produite dans la région,
dit Fidel Torres, le directeur de l'Agriculture du gouvernement de
Michoacan. En revanche, les viandes congelées qui nous arrivent par camions
depuis la frontière nord ont parfois jusqu'à dix ans d'âge ! Quant à leur
prix, en moyenne deux fois plus bas que les nôtres, ils ruinent
littéralement notre économie.» Malgré les scandales sanitaires à répétition
liés à la qualité de la viande importée, les semi-remorques bourrés de
marchandises illégales ou de produits périmés traversent le Rio Grande sans
grandes difficultés depuis des années. La responsabilité des entreprises
américaines n'est d'ailleurs pas seule en cause. La corruption massive
régnant chez les agents des douanes et celle des fonctionnaires des
gouvernements du PRI (le Parti de la révolution institutionnelle, qui a
gouverné le Mexique de 1929 à 2000) y ont également contribué.Ê

Au grand dam de millions de paysans qui réclament au président Vincente Fox
un moratoire sur le volet agricole du traité de libre échange, tous les
produits nord-américains (sauf le maïs, les haricots, le lait en poudre,
encore très partiellement protégés jusqu'en 2008) sont, depuis le 1er
janvier, autorisés à entrer librement sur le marché mexicain dans le cadre
de l'Alena. La dépendance alimentaire vis-à-vis des produits
nord-américains, déjà proche des 50 %, devrait logiquement augmenter dans
les mois à venir. Dans ce contexte, l'Etat du Michoacan, loin d'être le
plus défavorisé du pays, a développé des productions alternatives, telles
que l'avocat et les fruits rouges, qui lui permettent d'exporter à profit.
Reste que seule «15 % de la superficie utile a été reconvertie afin d'être
compétitive face à la première puissance agricole du monde», explique
Manuel Aguirre, le représentant local du ministère de l'Agriculture.

Crise profonde. Au sein du monde rural mexicain, qui représente toujours 25
% de la population du pays et qui vit pour son immense majorité dans la
pauvreté, le choc de la concurrence génère aujourd'hui une crise profonde.
La promesse d'entrer dans le «premier monde» grâce au traité de
libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada apparaît de moins en moins
crédible. D'autant que l'industrie mexicaine, censée être la grande
bénéficiaire de l'Alena, est elle aussi en crise. Les maquiladoras (pour la
plupart, des entreprises nord-américaines d'électronique, d'automobiles et
de textile qui emploient la main-d'oeuvre mexicaine pour assembler des
pièces importées des Etats-Unis sans droits de douane), qui représentent la
moitié des exportations du pays, sont en train de se délocaliser vers
l'Asie de façon massive.
©Libération
merci a Raph